L’archéologie en Seine-Saint-Denis, un enjeu pour une autre éducation à l’histoire

Publié le par la Délégation à la vie associative et à l’éducation populaire

Mots-clés : Patrimoine Archéosite

Inscrit dans le cadre d’une réflexion engagée depuis cinq ans et d’une pratique de 25 années, le présent article se veut faire un point sur des démarches conduites à partir d’un double questionnement : l’archéologie peut-elle être un outil pour les pratiques d’Éducation Populaire ? En retour, ces pratiques peuvent-elles aider l’archéologie ?

Le musée est une institution sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’étude et de délectation.
(statut icoms 1951-2007)

Le travail actuel des chercheurs en didactiques de l’histoire constate l’incapacité de l’école à se réformer sur cette question centrale (N.Lauthier) : que transmettre de l’histoire aux enfants, et comment, dans le cadre d’un enseignement dispensé par l’État ? Il est tentant, comme l’ont fait pour les sciences physiques nos collègues chercheurs au travers de la « main à la pâte », de chercher d’autres manières de transmettre les savoirs, des savoirs qui sont en rapide explosion. Cependant, les attendus de cette démarche dépassent cette « simple » question de transmission et induisent à esquisser une réorganisation même des usages et, au-delà, des objectifs de la recherche en archéologie. D’autre part, si le statut des musées définit par l’Icom préfère le terme “delectation” à “plaisir”, cette prohibition n’est pas sans intérêt. Dans cette définition, une autre prohibition, celle du terme “jeu”, est au demeurant plus problématique. À ce propos, un rapide dépouillement de ce qui s’écrit au sujet de la restitution des savoirs en archéologie, encore souvent appelée « médiation en archéologie », provoque à mon sens, en tant qu’archéologue du Conseil Général de la Seine Saint-Denis, quelques perplexités. En effet, la très grande majorité des textes des collègues français, certainement par volonté de « faire sérieux » et de crédibiliser les démarches autour d’une discipline scientifique en pleine construction, semblent ignorer les mots-clés que sont : indices, partage, jeu, émancipation.

Comprendre ensemble plutôt que faire de la médiation .

La volonté d’assurer la préservation des archives du sol, de transmettre nos connaissances et de former des citoyens aptes à utiliser une profondeur historique des territoires où ils vivent pour peser sur les décisions qui structurent leur vie au quotidien, ne peut se satisfaire d’une « médiation ». Ce travail de restitution des savoirs ne peut pas se faire au travers d’un médiateur. Sa simple présence, quelque soit sa bonne volonté en tant qu’individu, transforme le chercheur en savant et par voie de consequence le public en ignorant. Ce dispositif de médiation généralisée renvoie alors la donnée archéologique dans les vocabulaires du “trésor”, de la “découverte”, du “caché” et l’éloigne de ce qui est à comprendre ensemble. Cela ne présente pas l’archéologie en tant qu’outil pour penser d’autres mondes possibles. Pour dire les choses plus directement, la présence du médiateur renvoie la recherche en archéologie du rang de science en train de se faire au rang de discipline patrimoniale. C’est-à-dire qu’une « élite » décide de transmettre selon un mode de transmission vertical créant un rapport de domination. Pour une mise en partage sur la base des objets et non des discours sur les méthodes

Les objets : le fruit du travail d’hommes, de femmes, et souvent d’enfants...

Un enjeu fort : présenter les objets et non les méthodes. Les objets, c’est-à-dire ce que sortent les archéologues de terre - des épées mais aussi des tibias de grenouilles… - sont le réel. En cela, ils sont premiers. Ils sont supérieurs à tous les discours que l’on peut construire à un moment “t” à leur sujet. Le public doit pouvoir accéder à ces objets. Toutes les scénographies, souvent coûteuses, qui viennent surcharger la relation entre un visiteur, ou un groupe de visiteurs, et une collection d’objets, ne sont qu’une dilution des multiples sens et significations que le visiteur peut construire. Des significations qu’il élabore pour peu qu’on l’y autorise et qu’on lui fournisse quelques clefs que sont : la matière, la date en chiffres calendaire et une image informant le contexte de découverte.

Car si l’archéologie est une science de l’observation du réel, le public doit pouvoir observer également. L’éclairage, les couleurs du fond de la vitrine doivent permettre de voir l’objet dans tous ses détails. Il ne s’agit pas de présenter un objet « représentatif » d’un “idéal-type”, mais une collection d’indices matériels fruit du travail des femmes, des hommes et souvent des enfants qui l’ont produit. En réalité, un objet est en lui-même une somme d’indices. C’est le résultat de coups de marteaux incontestablement réels, bien ou mal donnés. En cela, chaque objet est unique. Mais le présenter seul, quand il est issu d’une série, c’est le dématérialiser, le priver de sa capacité à témoigner.Bref, l’idéaliser.

Le travail de mise en lumière de l’objet dans la présentation d’une série d’objets, à priori identiques, doit parvenir à éclairer ce dialogue de l’unique dans la série. Faute de ce regard sur la série, les indices archéologiques sont utilisés dans les musées comme des objets uniques, comme des œuvres d’art, les œuvres d’un art idéaliste. Cela a une double conséquence. D’une part, on ne distingue plus les véritables prouesses stylistiques et techniques, ce que les artisans appelleraient des chefs–d’œuvre, du reste du mobilier. Ors, à toutes les époques et dans toutes les cultures, ces pièces hors normes existent et ont des choses à nous dire. Seconde conséquence : la série, ramenée à un seul objet par un travail de tri excessif, fait peser sur cet objet un poids qu’il ne peut visuellement porter. Résultat : l’indice archéologique est réputé mal entrer dans la vitrine de musée.

Des expositions qui respectent les métiers des intervenants.

Pourtant, nous venons en Seine-Saint Denis de faire trois expositions d’archéologie et elles ont eu du succès ! Ces trois expositions ont été réalisées à la demande de ceux qui les ont accueillis, car répondre en faisant du “sur mesure” aux demandes des partenaires est souvent plus efficace que de chercher à leur imposer un projet déjà tout formaté. L’exposition « Fer des Gaulois » au Musée de Saint-Denis, qui s’est tenue de de mi-avril à août 2010, a clôturé cette triade. Elle permet de poser quelques jalons pour le futur. Ces trois expositions ont accueilli 15 000 visiteurs et ont couté au budget départemental, hors personnels, un peu moins de 16 000 euros. Ils sont venus d’un cofinancement « Direction de l’Education » et « Bureau de l’Archéologie ». Un budget complémentaire, sous la forme d’un mécénat de 5 000 euros, offert par l’entreprise Dubrac, a permis de financer un numéro spécial du journal de la ville de Saint Denis tiré à 40 000 exemplaires et épuisé avant la fin de l’exposition. Ce numéro a été réalisé en partenariat avec l’équipe du journal de Saint-Denis (JSD). L’idée étant que le journal est un métier, qu’il convient de le respecter, l’archéologue s’est porté garant du contenu et c’est l’équipe de rédaction (on remerciera ici Patricia Da Silva Castro) qui s’est emparé de la question de la forme et de l’écriture. De meme, si c’est à la photographe et à l’iconographe du service archéologie de faire et de fournir les images, voir de veiller à l’équilibrage final des couleurs, c’est à la maquettiste de choisir les images dans une proposition de trois ou quatre vues et de leur trouver une place. C’est dans le respect des métiers de chacun des intervenants que peut s’élaborer et se construire une manière de restituer les savoirs aux publics. On notera que cette dynamique repose sur une collaboration directe entre un chercheur, porteur d’un projet de recherche et intégrant la restitution de ce qu’il a appris, et l’équipe rédactionnelle d’un journal de ville, bien ancré dans son lectorat. Cette collaboration vise à pleinement investir un canal d’éducation populaire gratuit trop souvent sous-évalué voire negligee : le journal communal. Cette collaboration vise aussi à diffuser une information au plus grand nombre.

Présentation au public.

Le dernier opus de cette série d’expositions a été aussi celui où la dimension « objet » a été la plus investie puisque pour la première fois nous avons présenté plus de 215 objets issus des fouilles sur le Département. Cette présentation a été réalisée par un accueil systématique des groupes et des visiteurs par des chercheurs.
On peut postuler que cet accueil personnalisé a été la clef de cette réussite car c’est sur cet accueil « de gens qui parlent des gens » que repose la transformation de “trésors archéologiques” cachés derrières des vitrines en indices pour comprendre ensemble.
Cependant, cet accueil a aussi un autre rôle. Les objets derrière la vitrine deviennent des images sans poids, sans chaleur ou sans odeur. Une fois de plus, il nous faut lutter contre cette idéalisation. Le rôle de l’accueillant n’est pas de prononcer une conférence devant la vitrine, mais de faire circuler dans les mains des visiteurs des répliques des originaux, aussi fidèles que possibles. Ces répliques, il conviendrait de dire ces réinterprétations, ne sont pas des objets parfaits. Elles témoignent au contraire d’un moment dans la recherche de l’équipe, dont fait partie celui qui les présente. Elles enregistrent à un moment donné notre capacité d’analyse et de re-fabrication. Rappelons pour mémoire que l’on est loin, par exemple, d’être capable aujourd’hui de re-fabriquer une épée celtique et son fourreau à partir de techniques respectant les déterminants des IIIe et IIe siècles avant notre ère (chauffage au charbon de bois, forge au marteau à main, ventilation manuelle, soudure en forge au sable). Ce travail de présentation des répliques et de mise en mouvement des objets est donc une manière directe de présenter un encours des recherches. Notons que le musée doit également entrer dans le vingt-et-unième siècle. Cette présentation de l’encours de la recherche autour de la re-fabrication peut s’appuyer sur des artisans en vrai, mais elle peut et doit également s’appuyer sur de courts films de type ethno-archéologiques, que ce soient des images tournées sur des artisans « traditionnels » filmés au Népal ou dans un foyer Sonacotra de la Seine-Saint-Denis, ou que ce soit des séquences de travail d’artisans expérimentateurs. C’est dans ce travail de présentation aux publics que se joue une dimension centrale du dispositif : la mise en partage des connaissances.

Mise en partage des connaissances.

Dans une perspective d’éducation populaire à l’histoire des territoires, présenter des objets n’est pas une fin en soi

Venons-en au deuxième terme, si souvent occulté des textes archéologiques : le partage. Le partage des connaissances, ou plus exactement l’apprentissage, peut être envisagé dans le double sens de ce que l’on apprend en transmettant mais, également, de ce que l’on transmet en apprenant.

Depuis 2003, l’archéologie est devenue, par la faute d’une assemblée nationale particulièrement rétrograde, archéologie préventive ouverte à la concurrence. En cela, elle a été transformée en un enchaînement de gestes techniques dans un cadre fortement réglementé. En revanche, la question du devenir des indices, des objets collectés, n’a été que très imparfaitement réglée par une loi de 2004 et les voies normales de la restitution aux publics de ces savoirs sont restées exclues de toute légitimation légale.

De ce fait, le devenir des collections archéologiques est, au mieux, un archivage dans un centre de conservation et d’étude (CCE) dont les missions de présentation aux publics sont sous-évaluées. Pourtant, nous savons tous qu’une collection archéologique qui n’est pas régulièrement vue par le public court le risque de vite être oubliée et de s’abîmer. Nous savons également que bien des enseignants, bien des grands-parents, voire des parents, aimeraient avoir une base matérielle à partir de laquelle ils pourraient transmettre à leurs enfants et petits enfants. Enfin, et surtout, nous savons ô combien des objets bien reels, manipulés, peuvent avoir un rôle et des effets d’accélérateurs de prise de conscience. Aujourd’hui, au lieu d’explorer ces pistes, l’effort consenti en matière d’archéologie butte à la porte close du musée. Pire, si la porte s’ouvre, le public se trouve désarmé face à une vitrine dans laquelle “distinguer l’objet” est fort difficile sans un long apprentissage. Si le musée veut s’adapter à la recherche et attirer les visiteurs, comme le musée de province le faisait fort bien il y a un siècle, il doit de nouveau faire de la place dans ses salles pour la présence en vrai de résultats des fouilles et de chercheurs. On nous dira : “Projet illusoire et coûteux ! Le chercheur coûte cher, il a certainement bien d’autres choses à faire que de parler à une classe”. On optera, au mieux, pour la mise en place d’un guide ou d’un médiateur, de préférence payé à la conférence. Avec un peu de chance, la classe se décommandera et l’on économisera le coût de cette conférence !

La place du chercheur.

Et si l’on inversait l’ordre des questions ? Et si l’on envisageait le rôle du chercheur confirmé au-delà de la rédaction des panneaux et du catalogue pour aller jusqu’à la présence réelle dans l’exposition ? Il ne s’agirait pas qu’il fasse lui-même toutes les visites, mais il encadrerait une équipe d’apprenants venus là pour se former à l’archéologie en présentant ce qu’ils sont en train d’apprendre aux visiteurs. Ils pourraient organiser non pas des visites, mais animer des ateliers où le visiteur serait mis en situation de toucher des répliques, voir de les fabriquer. À ce besoin de partage, que nous venons d’évoquer, il existe également une seconde raison. Aujourd’hui, les collections sont de plus en plus nombreuses et l’accumulation d’objets est sans cesse plus rapide. Cependant, dans le même temps, les problématiques se renouvellent bien moins vite. Si l’on prend un point d’observation spécifique, les Gaulois, force est de constater que les années 2000 sont un moment assez représentatif de cet essoufflement des problématiques. Alors que les années 80/90 ont vu l’intégration rapide, grâce à une nouvelle génération de chercheurs, des questions environnementales dans l’analyse des sites archéologiques, les années 2000 n’ont pas connu pareil renouvellement. Notons au passage que ce renouvellement de la fin du vingtième siècle est le fruit de chercheurs comme Patrice Méniel qui, ingénieur métallurgiste, a été attiré vers l’archéologie par des chercheurs bénévoles passionnés par le partage de leur discipline. Ces nouveaux regards ont transformé les ossements animaux que les archéologues jetaient, faute de savoir qu’en dire, en une immense collection d’indices sur l’élevage, l’économie… Bref, ils ont fait entrer la donnée archéologique dans l’histoire sérielle, reste à la faire entrer dans l’histoire sociale.

Changer de "sens"

Enclencher un saut qualitatif réel dans une discipline scientifique oblige à changer les regards. Pour engager ce travail de construction de connaissances, l’un des meilleurs outils est de réintroduire du dialogue avec la société. Sans cela, le risque est de reproduire sans cesse les mêmes schémas de pensée. Mais, le dialogue se doit d’installer une réciprocité entre émetteur et récepteur. Il est important que les archéologues, au moment où ils mènent la recherche, présentent en direct leurs données pour les verbaliser et les forger dans le feu du débat. C’est pour cela qu’ils doivent transmettre en direct aux enfants comme aux adultes, aux élèves comme à leur professeur. Pour transmettre, certes, mais aussi pour écouter ! Cependant, en matière de patrimoine archéologique, la voie normale de transmission c’est le musée, une voie à sens unique. En France, conséquence négative du grand Ministère Malraux, les musées se sont renfermés sur l’étroite communauté culturelle excluant peu ou prou les démarches d’Education Populaire ou les démarches plus tournées vers la mise en mouvement des corps. Dans un musée, on transmet à des visiteurs immobiles et passifs. Le musée français s’est construit sur une triple interdiction : ne pas toucher, ne pas parler, ne pas jouer. L’expérience pratique de la visite d’une classe dans un musée commence par une première chose qu’entendent les élèves : “Chutt !”. Dommage, tous les cogniticiens s’accordent aujourd’hui pour déclarer que l’on apprend par la relation de la main, du cerveau et de la bouche qui verbalise (on ne se privera pas du plaisir de renvoyer aux travaux novateurs de Lev Semionovitch Witgoski ou plus habituellement pour les archéologues à « Mécanique vivante » d’André Leroi-Gourhan). Cependant, on pourrait également renvoyer au travail actuel de Pierre Parlebas et du groupe « Matières à penser ». Regard et audition sont secondaires dans les apprentissages. Hélas, pour nos visiteurs immobiles et ne bénéficiant même pas de chaise pour s’asseoir, leurs yeux et leurs oreilles sont les seuls sens mobilisés par la visite commentée du musée ! Si les enfants ne jouent pas, ils ne reviennent pas et il est illusoire de croire qu’ils ammèneront leurs parents. S’ils ne jouent pas, ils n’apprennent pas et le musée cesse d’être un outil (pour eux comme pour leurs parents).

Pour une recherche collective fondée sur le jeu

L’archéologie se trouve confrontée, comme bien d’autres sciences sociales, à la fois à l’explosion de ses données propres, mais également à l’explosion des données fournies par les autres secteurs des sciences de l’homme et de la société. Une en particulier, l’ethnologie, malgré une crise sans fin, accumule une matériauthéque formidable. De plus, l’ethnographie filmée, de plus en plus accessible par la grâce des technologies numériques, ouvre aux archéologues un fond presque infini de comparaisons, de modes de réflexion sur l’organisation sociale, mais surtout sur la manière de construire et de segmenter les chaînes opératoires pour la production d’un même objet. Ce qu’illustre bien une recherche en cours sur la fabrication de bracelets en verre où notre travail progresse autant par l’expérimentation filmée ici que par le travail de compilation de ce qui a été filmé par des ethnologues tant au Népal qu’en Afrique. Cependant, comment trier pertinemment dans cette masse d’informations les éléments qui sont capables de venir enrichir les modèles de fonctionnements historiques et techniques ? Que doit construire l’archéologie pour faire émerger du sens à partir des découvertes faites en fouilles ?

Si nous voulons avancer, comprendre mieux et transmettre plus, nous devons développer absolument nos approches ludiques, les développer dans la direction de jeux de simulations. En effet, la gestion aujourd’hui de la crise de la complexité transverse à toutes les sciences de la société, exige de pouvoir travailler sur des modélisations complexes, pour tout dire des modélisations multi-critéres, appelées systèmes multiagents également dénommés SMA. L’objectif de ces modélisations est triples : décrire, comprendre et prédire. Une spécificité de l’archéologie : pouvoir tester la valeur de cette prédiction en observant ce qui se passe, ou ne se passe pas, en vrai, à la période suivante et ainsi valider la description initiale (Saqualli 2009).

Il s’agit, sur la base d’un modèle et d’un pas de temps donné ( année, mois, semaine ou jours ou doit se développer l’action) , de faire jouer des variables multiples. Par exemple, que se passe-t-il si l’on ajoute au modèle initial du « village d’artisans gaulois » le prélèvement qu’une communauté humaine peut effectuer sur un capital bois qui l’entoure ? Ce besoin de forêt rejaillit sur la place qu’elle doit laisser au bétail et les conséquences à court et moyen terme d’une chaîne de traitement des laitages orientés vers les fromages ou vers le yaourt. Le modèle s’animant quand on intègre les bonnes années pour la prairie (année pluvieuse en Europe) et les épizooties (les mêmes années) qui peuvent en quelques jours décimer un troupeau.

Le jeu collectif.

Cependant, comme on le voit, le risque est rapidement de fabriquer des “usines à gaz” ingérables. La programmation mathématique, utilisée en premier ressort, devient inaccessible par sa complexité. Force est alors de trouver d’autres modes de travail. Le jeu collectif, mobilisant des cerveaux bien réels et nettement plus souples que l’informatique à la gestion des variables, est une des solutions. Il a pour avantage de multiplier les tests de variables au sein de parties qui pourront servir dans un second temps de base pour une modélisation plus rigide. Dans cette optique, il existe au moins deux grandes séries de pratiques ludiques possibles. Des jeux engageant le corps des joueurs : il s’agit par la mise en jeu sécurisée de remettre en mouvement des répliques des objets découverts en fouille. Pour cela certains thèmes comme l’histoire des techniques de combat sont des thèmes privilégiés. Là, les archéologues retrouvent tout un milieu qui s’est, depuis le 15ème siècle et de manière accélérée depuis les années 1970, passionné pour les jeux de rôles grandeur nature puis pour l’histoire vivante. (O.Renaudeau 2008). Ces tests de combat présentent trois intérêts :
valider grandeur nature les possibles de l’armement utilisé non comme un objet unique (l’épée gauloise), mais comme un système d’armes complexe : une panoplie, un ensemble qui va de la chaussure avec sa semelle de cuir plate ou cloutée, au casque ou à la tête nue, et de la lance tenue en main à la javeline lancée. On voit déjà un très grand nombre de variables.
Mais, ces simulations ont un autre rôle. Elles obligent l’archéologie à effleurer la question incroyablement complexe des inter-actions entre objets et techniques du corps. Quels sont les gestes permis ou interdits, quelles sont les compétences techniques minimums (ou maximales) que doivent acquérir les porteurs ?
Enfin, il existe un troisième intérêt : matérialistes, nous savons que l’histoire est avant tout un déroulement linéaire. Nous savons classer les armes à la génération près, nous savons qu’elles évoluent. Nos conclusions sur une époque donnée doivent donc être en cohérence avec ce que nous savons des panoplies de la génération précédente et de la génération suivante. En d’autres termes, ce travail d’expérimentation à un but : proposer des explications crédibles pour présenter les impératifs qui sous-tendent l’évolution du matériel.
Socialement, ces pratiques historico-sportives ont enfin un ultime intérêt. La guerre, à toutes les époques, a été une pratique collective. Même si dans l’Odyssée c’est le rôle du champion qui est valorisé, il ne peut s’exprimer que supporté, protégé par les boucliers du groupe, de la famille, de la Cité. Travailler sur la guerre antique ou médiévale avec le public, c’est donc lui permettre de se situer dans un groupe. La récente création d’une association indépendante du Département (association talapakio) qui regroupe des joueurs, dont certains ne sont pas archéologues (au sens fouilleurs ou étudiants du mobilier ancien), montre les enjeux possibles de ces démarches.
Enfin, rappelons que ces démarches véritablement actives, où chaque jouer est acteur, s’inscrivent dans ce que nous ont appris des générations de pédagogues travaillant dans le sillage de la pédagogie prônée par Célestin Freinet : on apprend vraiment qu’en se mettant vraiment en jeu.

Ecrire ensemble les règles du jeu.

Il existe également une seconde grande catégorie d’outils ludiques. Ils engagent moins le corps et plus l’imaginaire raisonné d’un collectif de joueurs de plateaux. Ils s’inscrivent dans la perspective des « serious games ». Ils sont fondamentalement des jeux de simulation et ils tendent vers la modélisation de fonctionnements sociaux sous la contrainte d’un cadre naturel et technique. Ils ont pour objectifs la mise en œuvre collective de scénarios destinés à construire la diversité des regards possibles à partir d’un même corpus d’indices. Ces parties passent et ont pour objectif la réécriture collective et formalisée par une capture filmée des règles au gré des parties.

Un premier « modèle idiot » - pour reprendre la terminologie de nos collègues modélisateurs - qui décrit une représentation simplifiée à l’extrême avec une règle ne dépassant pas une page a été réalisé avec l’aide de la direction de la communication de l’Université Paris 13. Nommé "Gobanos", il sert actuellement à des tests. Il a pour cadre une modélisation du village gaulois de Bobigny tel qu’il est actuellement perçu après vingt ans de recherches. Il a pour but de tester des variables sociétales. Il se veut une visualisation du fonctionnement d’une société trifonctionnelle (ceux qui prient\savent, ceux qui combattent, ceux qui produisent la nourriture) quand elle doit intégrer des artisans. Une des variables testée est la stricte exclusion entre des groupes lus comme deux castes, une seconde celle d’une confusion partielle entre aristocrates et artisans. Il va sans dire que l’ethnologie fournit des modèles très crédibles de ces deux organisations. L’objectif devient alors, sur la base du déroulé des scénarios jugés les plus crédibles par les joueurs, de critiquer ces séquences, au regard des indices collectés en fouille, ce qui amène souvent à leur réinterprétation.

Campagne de printemps.

C’est à ce double objectif de transmission par des approches participatives et ludiques que va être consacré une campagne de printemps qui s’annonce particulièrement riche.

Elle va mixer
- une fouille ouverte au public à Bondy,
- l’exposition « Les os font des histoires » à partir du 21 avril au centre culturel Michel Simon de Noisy-le-Grand où, pour la première fois, seront présentées les exceptionnelles découvertes mérovingiennes de cette commune,
- et des temps d’expérimentation publique à la Haute-Ile en mai « Autour des Gaulois en guerre ». Cette manifestation en partenariat avec l’Université Paris 13, le Lycée professionnel Denis Papin et l’Université de Neuchâtel verra s’affronter sur la clairière dédiée à l’archéologie 80 archéologues démonstrateurs costumés en combattants gaulois et soutenus par plusieurs classes de collégiens du Département utilisés en tant qu’ailes de lanceurs de javelots et actuellement en formation.

L’organisation de la manifestation, l’accueil des participants et les temps de combats associeront la participation d’une trentaine d’étudiants des Université Paris 13 et Paris 1, actuellement eux aussi en formation, aux côtés d’habitants et d’élèves de lycées professionnels.
Une autre manière de faire de l’archéologie ensemble qui suscite la participation du maximum de “cerveaux” possibles.

 

Bibliographie.

Références électroniques

- Nicole Lautier et Nicole Allieu-Mary, «  La didactique de l’histoire , Revue française de pédagogie , 162 | janvier-mars 2008, mis en ligne le 01 janvier 2011, consulté le 07 janvier 2011.

- Lev Semionovitch VYGOTSKI - Traduction française, 1934 -

- Olivier Renaudeau

Voir aussi  :

‎LEROI-GOURHAN André‎ ‎MECANIQUE VIVANTE Le crâne des vertébrés du poisson à l’homme‎ ‎FAYARD