Historique de la démarche "Paysages à partager"
Le Département de la Seine-Saint-Denis mène depuis plus de 30 ans des actions en faveur des espaces verts et naturels du territoire en associant largement partenaires associatifs et population. En 1998, le Conseil général élabore un Schéma Vert Départemental (SEVE) qui présente un ‘’bilan du vert’’ en Seine-Saint-Denis et pose les conditions de l’amélioration de la quantité et de la qualité de ces espaces départementaux sur les cinq années à venir.
Pour l’actualisation de ce document en 2004, le Département fait le choix d’associer pleinement la population. Sur la phase de diagnostic, 80 groupes d’habitants et usagers expriment leur perception du vert au travers de séries photographiques commentées et présentées aux élus au même titre que les analyses transmises par les paysagistes, urbanistes et sociologues du Département. Dans un second temps, des ‘’interventions urbaines’’ en divers points du territoire sont montées pour interpeller les usagers et les mobiliser à débattre autour des thématiques et enjeux dégagés par la phase préliminaire de bilan : la biodiversité urbaine, les espaces nouveaux et rénovés, les maillages et accès, les fonctions sociales, l’approche paysagère du cadre de vie et des espaces de perception. Il en ressort que la notion du paysage et du végétal en ville est centrale mais difficile à cerner et à formuler.
L’implication volontaire du grand public se poursuit alors par le programme « Paysages à partager » qui s’inscrit dans la démarche participative affirmée par le Conseil Général : des expériences collectives pour améliorer, découvrir et valoriser les paysages, suivies ou suscitées par la Direction des Espaces Verts de la Seine-Saint-Denis. Au total, 15 projets sont développés ; 15 initiatives portées par des riverains, des artistes, des étudiants, des professeurs, des randonneurs, des entrepreneurs, des personnes âgées, des jeunes… qui offrent un regard, une approche, une action particulière sur le végétal dans le paysage quotidien à diverses échelles.
Le projet verdure pour chaque âge
Parmi tous ces projets qui font la part belle à l’initiative et à la créativité, se distingue le projet porté conjointement par le personnel et les pensionnaires de la résidence pour personnes âgées Le Laurier Noble sur la commune de Saint-Denis. Dans un environnement très urbain, l’équipe soignante pense, aménage et fait vivre l’espace extérieur disponible, organise des ateliers autour du jardin, l’étend par des sorties…
Le cadre
Toutes les maisons créées et gérées par l’association ADEF Résidences ont des noms d’arbres :Grand Chêne, Cèdre Bleu, Tilleul Argenté, Cytises, Saule Cendré… Le parc autour de l’établissement s’est imposé comme une priorité au moment même de la conception en 2004 et le directeur a eu la chance de travailler en amont avec le paysagiste. Le bâtiment est largement vitré avec vue sur le jardin de tous les étages. Du coup, le choix des arbres ne se fait pas au hasard : les liquidambars, magnifiques à l’automne qui poussent verticalement et prennent donc très peu de place, les lauriers qui se développent librement le long du bâtiment, en écho aux ombres du rideau de peupliers masquant la bretelle de sortie d’autoroute. Les pensionnaires bénéficient aussi, de l’autre côté des grillages, d’un côté des fleurs de la ville et de l’autre des arbres qui dépassent du terrain de l’hôpital. Il a d’ailleurs été demandé aux personnes chargées de l’entretien de ne surtout pas les tailler.
Une volonté
Le personnel de cette résidence coincée dans un environnement très urbain (sortie d’autoroute, cités…) a une volonté forte de faire vivre l’espace vert disponible. Dans l’établissement, chaque soignant propose un projet ou une activité, personnalisé suivant ses centres d’intérêts. Cette année, il y a eu plusieurs propositions pour le jardin : • un programme de fleurissement vivace (végétaux de jardin familial, à l’ancienne) • des bacs surélevés pour pouvoir manipuler la terre en fauteuil roulant • un potager, des plantes aromatiques…
Projets et investissements
Pour améliorer l’existant, un investissement vient d’être fait pour une tonnelle épaisse pour faire courir la glycine en arc au-dessus du petit chemin… La maison cherche des financements…Mais le jardinage peut aussi demander assez peu de moyens, des envies et de la récupération, chacun amène des plantes, soignants, familles… : Marie-Thérèse, des boutures de rosiers et des marguerites ; Dédé sème des tomates…. Puis à plus long terme, pour 2010, il y a le projet d’une terrasse autour du grand magnolia, arbre central du jardin, visible de la salle à manger, pour rendre plus accessible son ombre fraîche et agréable en été aux personnes en fauteuil roulant.
Un jardin utile et réfléchi…
L’objectif est que le jardin soit planté de façon réfléchie, fleuri tout le long de l’année, pour le voir changer et l’utiliser de diverses manières.
Pour le groupe motricité : des éléments structurés, visibles toute l’année, des boules de buis, des herbes « de la pampa » pour avoir des obstacles, faire un travail de déplacement dans l’espace, d’équilibre, d’attention, ne pas marcher le nez en l’air. Pour que les personnes qui déambulent ne marchent pas sur les plantations au milieu du gazon, on prévoit une petite butte pour les rendre plus visibles… ».
Pour l’atelier sensoriel qui concerne les personnes qui ne sont plus dans la relation verbale, pouvoir stimuler les sens des gens, pour leur faire garder un contact, les intéresser à autre chose, les sortir de leur enfermement dans le jardin plutôt que sur du matériel inerte. On a déjà mis de la menthe, il y a beaucoup de personnes qui viennent d’Afrique du nord. En froissant les feuilles de menthe ça ravive des souvenirs…
Pour les animations : on plante des bulbes, pour manipuler des matériaux, utiliser un plantoir, toucher la terre, vivre l’expérience… en touchant des graines dans un seau, en transvasant… Les résidents prennent et donnent, il y a des échanges… Les petits moments sont importants.
… jusque dans les détails pour que ça leur rappelle quelque chose, il faut sortir de l’esthétique des jardins publics et remettre les fleurs de jardin vivaces qu’ils apprécient (dahlias, iris, glaïeuls, lupins, tulipes, roses trémières, glycines…) et sans trop encombrer le jardin.
Mais il faut aussi penser à ce qui peut être dangereux en évitant les fleurs toxiques que certains résidents pourraient mettre à la bouche et en protégeant des épines (entourer le rosier grimpant de peroskias…). Il est plus fondamental de soigner particulièrement les parties visibles de la salle à manger, pour qu’elles soient fleuries aux périodes auxquelles les résidents ne profitent pas encore du jardin en sortant, de fleurir entre les fenêtres pour égayer le bâtiment et de masquer autant que possible la grande arche de béton à l’entrée et l’hôpital côté jardin par une haie fleurie ou un arbuste grimpant. Les espaces de plantation doivent être accessibles aux fauteuils roulant, les déplacements doivent être facilités par des aménagements adéquats.
Un jardin qui sert beaucoup
Certains vivent un peu en autarcie. Un jardin ça re-sociabilise les gens, un moment de partage, entre eux, avec leur famille, ça crée la parole. On sort des tables pour des ateliers, des jeux, des goûters…l’été des piscines d’enfants pour tremper les pieds, des parasols, des chaises longues pour s’installer. Des résidents y déjeunent parfois. On y fait même des barbecues. Le personnel aussi en profite, y prend les pauses, y mange. Des enfants y jouent le mercredi et se mêlent aux résidents ; les enfants du personnel notamment qui peuvent venir, pour simplifier l’organisation des parents. Certains résidents ont participé aux plantations, d’autres arrosent. Un résident prépare des semis dans sa chambre, dans des petites bouteilles coupées et remplies de terreau, avec des graines récupérées dans les tomates et séchées. On guette et on goûte ce qui pousse… sur les 2 vignes, il faudrait 75 grains pour pouvoir faire des vendanges-dégustation, autant que de résidents. On y vient pour être à l’aise… « je descends à 6 heures du matin, me promener torse nu. », pour marcher « Tous les jours, j’en profite, je fais le tour. Je faisais des randonnées pédestres, de 25 kilomètres… il y a l’âge… Je suis une fille d’agriculteur… », pour imaginer « un banc encadré de roses grimpantes sur 3 côtés, comme dans ce restaurant… sympa, original… comme des princes et des princesses ».
Un jardin enfin pour donner envie d’aller voir ailleurs…
Une personne a dit « ici je suis enfermée » alors on sort le plus possible. « Des gens pensent que c’est difficile de sortir les personnes âgées, mais non… En tant qu’animatrice, c’est un tel plaisir, la satisfaction de les voir sourire. ». Des sorties sont donc organisées toutes les semaines, quel que soit le temps, en alternant avec et sans fauteuil, souvent les résidents ne veulent pas y aller mais ensuite ils sont toujours ravis. Stéphanie, coordinatrice infirmière, emmène régulièrement des petits groupes pour un déjeuner champêtre dans son jardin plein de charme, aidée par Zora, animatrice, et Violène, ergothérapeute… « Oh, les gouttes d’eau, on dirait des diamants. » « C’est comme un rêve réalisé. » « Un bol d’air, ça fait du bien. » « Des petites bêtes, partout, des vraies, des fausses… » « C’est beau le passage… » « Oh, le sureau, il sent bon ! Et ce chèvrefeuille rouge… » « Venir dans un jardin sans repartir avec une fleur ou un petit quelque chose c’est quand même dommage ! » … des roses et des pivoines parfumées pour chacune, pour leur chambre. « Les rouges, l’amour ! Les blanches, on le chantait à notre maman ».
Ce jardin c’est ce qui reste à chacun de liberté.
Adresse du blog paysages à partager :
http://paysagesapartager.parcs93.info