Regards sociologiques sur l’animation

Publié le par la Délégation à la vie associative et à l’éducation populaire

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La Documentation française, sous la direction de Jérôme Camus et Francis Lebon, édite cet ouvrage qui paraitra le 1 er juillet 2015. Comment comprendre les transformations que connait aujourd’hui l’animation ? Quels en sont les enjeux pour les structures, pour celles et ceux qui sont, au quotidien, au contact des publics ?

 

1. Histoires d’animation « L’animation » n’émerge véritablement que dans les années 1960. L’État, le monde associatif et les mairies soutiennent alors le développement professionnel de ce secteur, notamment par la conception d’équipements socio-éducatifs et le financement de postes d’animateur et de directeur. Beaucoup d’histoires de l’animation égrainent des dates de créations associatives et ministérielles ou bien accordent une place trop importante aux diplômes professionnels du secteur. Les contributions réunies ici invitent à élargir la focale d’observation. Il s’agit de prendre en compte trois univers qui, plus ou moins voisins de l’animation, ont contribué à la construire au fil du temps : l’action culturelle, les colonies de vacances et la Ligue de l’enseignement, principale association « satellite » du ministère de l’éducation nationale. Il faudrait bien sûr poursuivre le travail d’enquête en évoquant l’encadrement des activités physiques et sportives, la formation des d’adultes ou bien encore l’éducation spécialisée. Néanmoins, plusieurs enjeux peuvent d’ores et déjà être mis en évidence.

L’histoire de l’organisation des colonies de vacances met en lumière un certain nombre de traits qui irriguent aujourd’hui encore le monde de l’animation : la place centrale du monde associatif et des réseaux militants (politiques et religieux), l’espoir placé dans l’encadrement de la jeunesse (un public « cible »), la volonté de favoriser la socialisation et l’apprentissage (en particulier de la citoyenneté), une ambition réformatrice (du monde scolaire, etc.).

Dans les années 1960, l’État entérine la distinction entre le secteur « culturel » et le secteur « socioculturel » ou des « loisirs ». Censées incarner l’excellence artistique, les Maisons de la culture, par exemple, se définissent contre l’éducation populaire, ce qui tend à resserrer l’espace des agents culturels autorisés. Dans le secteur culturel, les fonctions que recouvrait l’appellation d’« animateur » dans les années 1960 se retrouvent aujourd’hui, pour partie, sous de nouvelles dénominations : chargé de relations avec les publics, médiateur culturel, spécialiste de l’administration culturelle, agent de développement culturel, etc.

Pour la Ligue de l’enseignement, grande association de jeunesse et d’éducation populaire, l’animation est une question plutôt secondaire car cette organisation est jusque dans les années 1980 dominée par les instituteurs, avant qu’elle ne recourt à des formes d’emplois précaires pour assurer ses fonctions d’animation.

Ces trois focus invitent donc à prendre en compte l’évolution des référentiels et des territoires « cousins » de l’animation qui ont souvent, à présent, leurs propres agents et parfois même leurs propres « intellectuels organiques » : l’éducation nationale, la culture, les loisirs, l’insertion, l’intervention sociale, l’économie sociale et solidaire, la formation tout au long de la vie, etc.

2. « Être fait pour l’animation », qu’est-ce que ça veut dire ? Lorsque l’on tente d’analyser ce qui fait le cœur du métier d’animateur, par delà ses multiples déclinaisons, on ne peut faire l’impasse sur le fait, maintes fois exprimé, qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un métier comme les autres. De l’immanquable « j’adore les enfants » des animateurs BAFA à la volonté de « travailler avec de l’humain » en passant par « l’envie de faire bouger les choses », « d’être utile », c’est d’abord le sentiment d’être « fait pour ça » qui se dit dans ces milles et unes formulations. Les contributions rassemblées ici tentent donc de comprendre cette sorte de moteur ressenti par l’individu dans l’exercice des fonctions d’animateur.

L’objet pourrait paraître anecdotique, il est pourtant incontournable : si l’animation n’a pas le monopole de la vocation dans le rapport au métier (on la retrouve chez les prêtres, les sages-femmes, les enseignants et chez bien d’autres travailleurs sociaux), ce sentiment d’être « fait pour ça » a quelque chose de spécifique, de propre à l’animation, et permet ainsi de la définir. La relation aux publics, faite de proximité compréhensive et d’effacement, les formes de don de soi, ou pour le dire autrement, l’impératif de « donner de sa personne », ou encore les façons de transformer un intérêt personnel en mode d’intervention, constituent bien les pratiques assez ordinaires des animateurs aux travers desquelles cette vocation est mobilisée et « motive » davantage que ne sauraient le faire des raisons plus « externes » comme le salaire et les conditions d’emploi. La place du savoir doit aussi être questionnée car les oppositions entre animation et école sont souvent présentées de façon trop rapide : elles traversent en réalité l’intérieur même du monde enseignant ainsi que l’espace de l’animation.

Parfois désignée comme un « esprit », une « âme », la vocation pour l’animation permet à celles et ceux qui la partage de définir la qualité de leur métier, de leurs actions. Mais elle rend également possible d’en exclure ceux qui, au contraire, « ne sont pas fait pour ça ». Et à l’opposé des discours ordinaires qui voit dans l’ajustement au métier une sorte de miracle individuel grâce auquel l’individu fait ce pour quoi il est fait, la sociologie montre que cette vocation produit d’abord une sélection à base sociale.

Elle pose également la question, non moins épineuse, de la continuité de l’animation : si le métier ne se résume qu’en l’expression des qualités individuelles, alors il y aurait autant d’animations que d’animateurs. Le parcours de permanent présenté dans cette partie montrera que la vocation fait plus que s’accommoder d’un contexte institutionnel indépendant des volontés individuelles, puisqu’il contribue à lui donner son sens.

3. Comment le terrain conditionne-t-il l’action des animateurs ? Le cadre d’exercice des fonctions d’animateur, qu’il s’agisse d’un centre social, d’un EHPAD, d’un ALSH ou tout autre, constitue une réalité se présentant souvent comme paradoxale dans le discours des animateurs. Ce métier de la « relation », de l’ « humain », semblerait pouvoir se passer de cet environnement institutionnel. Et pourtant, pas un animateur ne fait l’économie d’un commentaire sur « sa structure », jusque dans sa façon de se présenter. L’animateur se dit ainsi souvent « de » ou « en » quelque chose, MJC, « colo », FJT…

C’est que, contrairement à la vision spontanée qui pense l’animateur dans sa relation avec « son public », il tire à la fois sa légitimité, ses modalités d’action et ce qui constitue le sens même de son intervention du cadre institutionnel qui le mandate. Comprendre ce cadre, ces effets sur les fonctions d’animateur, semble donc indispensable.

Ce contexte, c’est d’abord celui qui englobe les structures : quels que soient les « finalités » et les « objectifs » affichés, plus ou moins émancipateurs, les animateurs n’échappent pas complètement à l’ordinaire des rapports sociaux. Les rapports de genre sont de ceux-là et posent un paradoxe bien difficile à résoudre au quotidien : comment se fait-il que les individus souvent parmi les plus favorables à l’égalité de genre (jusqu’à en faire des thèmes d’animation) contribuent-ils à reproduire les inégalités sociales entre les sexes dans leurs pratiques professionnelles quotidiennes ?

Mais le cadre institutionnel, c’est aussi celui qui conditionne les pratiques, encadre l’encadrant, parfois à son insu. A ce propos, de nombreux discours se limitent à une vision binaire : d’un côté, la bureaucratie contraignante, l’institution rigide, de l’autre, la souplesse, l’adaptabilité et les idéaux émancipateurs. Les contributions présentées ici mettent en évidence que les choses sont sans doute plus complexes que cette opposition pour le moins caricaturale.

Les rapports entre bénévoles et professionnels en sont un bon exemple. Suffit-il d’être employé professionnellement par une structure pour ne plus être militant ? Les intervenants non-salariés ne sont-ils pas, parfois, plus compétents que les professionnels ? Si ces questions semblent insolubles, c’est sans doute d’abord parce qu’elles mobilisent des façons de penser spontanées tellement évidentes qu’elles empêchent de comprendre autrement le rapport de l’animateur à son métier.

Autre dimension envisagée ici, celle des façons dont l’individu s’ajuste à son contexte d’exercice, comment il en vient à devenir lui-même un élément de l’institution. Les politiques de la ville constitue un contexte institutionnel consensuel que tout porte à percevoir comme a-politique. Mais ne peut-on pas voir dans la responsabilisation de l’individu, à travers les injonctions typiques d’une certaine « pédagogie du projet » à « se prendre en main », à « être acteur », une vision éminemment politique de la société ? S’agit-il toujours d’« a-politisme » lorsque l’animateur faisant la promotion de la « citoyenneté » ou du « lien social », enferme son public dans des identités préconstruites (« jeune », « immigré », « vieux », « demandeur d’emploi », « handicapé ») qui désignent autant des catégories de population que des problèmes qu’il prétend résoudre ?

Depuis plusieurs années maintenant, ces questionnements autour, pourrait-on dire, de la dimension politique de l’animation, sont de nouveau d’actualité. Les grandes fédérations semblent avoir retrouvé l’usage de l’expression « éducation populaire ». Les SCOP d’éducation populaire en ont fait une catégorie à travailler, à actualiser, à mobiliser, à traduire en dispositif. Et loin des pétitions de principes et des termes creux, la dernière contribution montre que si l’animation veut se réarmer pour penser son action, le débat doit assumer sa dimension politique et accepter les lignes de clivages qu’il génère. D’autres façons de penser l’animation sont alors possibles…