Un temps de deux mois de recherche archéologiques s’achève à Drancy (93). L’opération a été l’occasion d’une démarche que nous considérons être de « l’éducation populaire ». Elle suit vingt ans de travail dans cette direction. Un travail volontairement informel, en parallèle de notre activité de chercheurs en science sociale et aux marges des attentes explicitement formulées par les élus du Conseil Général envers les missions du service du Patrimoine qui sont, et c’est déjà rare et précieux, « découvrir et faire connaître ». Ce texte est un premier temps de formalisation d’une démarche.
Ce travail a impliqué une équipe de chercheurs constitués en marchant. Une équipe de deux agents statutaires du Conseil général de Seine-Saint-Denis, Antonio et Yves ; d’un agent contractuel précaire, Eric ; de trois stagiaires, Aurélia, Cédric et Lionel ; et d’un trio de bénévoles Anna, Damien et Christian. Les auteurs du texte, Eric Cargnelutti et Yves Le Béchennec se font les porte-paroles de cette équipe.
Cette démarche a associé également l’ensemble des élèves (70 jeunes de 12 à 20 ans) et des personnels de l’IME « Le logis » (institut médico-éducatif) et en particulier sa directrice Madame Poteau et Monsieur Patrick Tassier son psychologue.
Ce texte est un premier état. Un second état, au cours de l’hiver, fera l’objet d’une écriture plus collective avec les personnels de l’IME. Il permettra de rendre compte de la suite de la démarche.
Pour une éducation populaire à l’Archéologie.
« Tu veux faire de l’archéologie, n’y pense pas, c’est trop compliqué pour toi ; il faut parler Grec et Latin ».
Combien d’entre-nous ont, durant leur scolarité, entendu ses apparentes sages paroles. Des paroles diffusées par des enseignants pleins de sagesse et totalement ignorants du métier en question. Pourtant, de bénévoles en stagiaires, de « journées du Patrimoine » en expérience d’archéologie démonstrative, les archéologues devenus des salariés voudraient créer les voies pour une réelle ouverture d’une science en train de s’écrire. Dans cette dynamique, malgré son manque de musées, le Département de la Seine-Saint-Denis, ses élus, ses personnels administratifs et ses chercheurs ont tracé une voie spécifique : celle d’une vraie éducation populaire à l’archéologie, au Patrimoine et plus généralement à une histoire écrite ensemble, une histoire de ceux dont l’histoire écrite ne parlait pas.
L’archéologie de la France c’est aujourd’hui plus de trois milles professionnels. Ils interviennent, au quotidien sur le terrain et sont pour cela salariés. Hors, la plupart d’entre eux se sont formée sur le terrain. En tant qu’étudiants, ils ont suivi des stages en grands nombres ce qui fait qu’aujourd’hui, dans ce métier, il existe une vraie formation en alternance (qui n’a jamais été reconnue par l’Éducation Nationale). Ils ont cumulé les contrats précaires, à la suite des stages. Pour certains, ils se trouvent aujourd’hui, grâce à leurs combats, en poste, titulaires de CDI ou de postes statutaires. Certains ont franchis tout ce parcours sans être auparavant passés par la case « Faculté ». Ils ne parlent pas tous, loin de là, Grec et Latin, mais partagent une envie de savoir et souvent de dire leur métier. Il existe donc, de fait dans cette archéologie devenue un métier, une vraie formation par compagnonnage. Pour autant, peut-on parler d’éducation populaire ?
En réalité si le métier se cantonnait à gratter la terre pour débarrasser les terrains des vestiges archéologiques censés les encombrer, s’il ne s’agissait que de permettre la construction de nouvelle routes, voies ferrées ou bâtiments, cette archéologie préventive ne serait ni une discipline scientifique, ni un métier du Patrimoine, ni même un métier du bâtiment. A fortiori, elle ne serait surtout pas un possible outil de l’éducation populaire !
Cependant, il n’en est rien. L’archéologie que nous pratiquons aujourd’hui, l’archéologie préventive est d’abord le produit d’un long combat. Cette lutte c’est en tout premier lieu menée à l’intérieur de la profession. Il n’était pas rare dans les années 1970 débutantes, de lire dans des revues scientifiques des articles, des notes, voir de longs textes qui argumentaient largement sur le thème « On fouille trop, cela abime les sites ». Cette volonté malthusienne de réduction de la recherche, masquait une réalité brutale. Pendant que d’aucun, en poste, dissertaient, dehors se déroulait une destruction des archives du sol. Malgré la loi de 1941 qui interdisait (et interdit toujours, la destruction de vestiges archéologique), les sites étaient détruits. La France, et en premier lieu son ministère de la Culture, censé avoir la garde de ces vestiges, laissait disparaître les traces archéologiques. Refermée sur elle-même, l’archéologie ne réalisait pas que les métiers du bâtiment, sous le coup de la mécanisation accélérée des terrassements, consommaient à vitesse accélérée les mètres carrés de sols. Ainsi dans notre région parisienne, les voies sur berges dans Paris (les bords de Seine le port médiéval de Paris, la place de Grève) étaient terrassées sans observations. Le « Cimetière des Innocents » formidable réserve d’informations sur l’histoire des squelettes des parisiens, devenait le bord du trou des Halles et n’occasionnait qu’une surveillance hâtive. Pire les archéologues, retranchés derrières les palissades des chantiers, recherchaient la confidentialité. Soucieux de conserver leurs données pour une publication future, que le chercheur serait le seul à signer, chaque archéologue participait de cette fausse conspiration du secret. Une démarche qui aboutissait à légitimer à la fois les destructions et le rôle incontournable de l’Etat comme le seul gardien légitime de l’Histoire.
En matière d’Histoire et plus particulièrement d’Histoire de France, ces années sont celles où éclate une crise sans précédent de cet État dans sa fonction de gardien et de transmetteur de l’Histoire. L’état gaullien déliquescent se révèle incapable de transmettre l’histoire du colonialisme et il se remet mal de la décolonialisation. Cet état foncièrement colonial à l’extérieur ne peut faire l’histoire de sa construction qu’en niant les identités régionales (mise au pas de la Bretagne et d’une manière encore plus caricaturale celle des Cathares - rappelons que « Montaillou Village Occitan » d’Emmanuel Le Roy Ladurie publié en 1975 fournit un bon point de repère pour ce phénomène). Or ces histoires éclatent à ce moment en revendications identitaires, mais aussi en sujet d’étude pour des démarches savantes. C’est dans cette crise des fonctions mémorielles de l’Etat et dans la crise concomitante des sciences sociales, que grandit une nouvelle génération d’archéologues.
Une nouvelle génération d’archéologue pour une « archéologie nouvelle ».
Au détour des années 1960/1970 se jouent bien d’autres brisures. Importé d’Europe de l’Est, la sensibilité pour la « culture matérielle » refonde la discipline. L’objet n’est plus vécu comme un fétiche à muséifier, mais comme un marqueur à un moment donné de rapports sociaux. A priori rien ne change, des archéologues, des terrains de fouille et des objets qui en sont extraits. En réalité, tout change. Ces objets ne sont plus des trésors à mettre dans des vitrines de musées, mais des indices à interroger au regard du lieu de leur découverte [un objet étudié au regard de sa position dans la stratigraphie, et informé par les autres objets découvert dans cette stratigraphie, les archéologues simplifient et disent, à l’anglaise : context]. Le structuralisme, la volonté de porter un discours complet sur l’histoire ancienne, une histoire qui ne soit plus l’histoire des textes. L’objectif d’une histoire qui dépasse les acquis de l’ « école des annales », car elle s’attaque à de nouvelles données : l’ensemble des traces matérielles laissées par ceux qui nous ont précédés. Bien sur arrivera au détour des années 1980 le temps des désillusions, tant les buts étaient grands. La première est la faiblesse des indices eux-mêmes. Ces indices de la culture matérielle, érodés, détruits par le temps, ou pire, n’ayant pas existé ! Un artisan qui travaille dans un atelier de quelques mètres carrés économise la matière, gère ses rejets, son apprenti balaie. Résultat, des années de travail de cet atelier, ne restera souvent pratiquement rien. Leurré par notre société de consommation nous avions cru que la fouille révélerait tous les aspects des chaînes opératoires de tous les métiers et au final ce n’est pas si simple.... Cependant dans le même temps l’archéologie a gagné une bataille, celle de la taille des chantiers. Alors que dans les années 1970, 400 m² était une fouille d’une superficie importante aujourd’hui, l’archéologie préventive exploite des tracés de plusieurs dizaines milliers de mètres carrés. Un gain : la possible réflexion sur une archéologie du (des) paysage ou au moins de micro-régions. Toutefois, cette archéologie souvent imbriquée dans des opérations de grands travaux, s’est éloignée du public et cela produit de nouveau de l’enferment disciplinaire. Cet enfermement est d’autant plus marqué que cette archéologie est pratiquement coupée du musée. La sanction, au final, est tombée. Cette nouvelle phase d’enfermement disciplinaire a débouché mécaniquement sur une attaque frontale de la part des députés (de droite et quelques autres) contre l’ « archéologie préventive » (la pratique qui consiste a fouiller avant les constructions). Porté par un vent général de remise en cause de la légitimité des politiques publiques de la Culture, le financement des fouilles, qu’une loi de 2001 avait tenté d’organiser a été remis en cause. On peut, bien entendu, le regretter, on peut aussi combattre la loi de 2003 qui avalise cette remise en cause du financement des fouilles. Mais ne faut-il pas surtout en profiter pour refonder ensemble une doctrine sur la finalité de l’archéologie préventive ?
De la médiation en Archéologie
Pour de nombreux collègues « faire de la médiation » fait l’objet d’un débat. Ce débat passe par de doctes interrogations : faut-il en faire ou pas. Voir, cela débouche sur des questions fondamentales comme : « l’archéologie est-elle du patrimoine ou pas » ! Bref dans une gentille perspective de cultureux centrés sur leurs enjeux disciplinaires du moment, il s’agit de savoir si « faire de la médiation » est, ou n’est pas, une perte de temps compatible avec leurs charges de travail. La médiation est vécue comme quelque chose aux marges du métier. Le temps qu’il faut, malgré tout ce qu’on a à faire, consacrer au public. Au passage, la médiation remplace la transmission des savoirs. Comme si en archéologie il y avait une production de savoirs si complexes que le public n’y puisse accéder qu’au travers d’un filtre traducteur. Comme si, également, la question de la propagande autours de notre métier était une espèce de cerise sur le gâteau, n’ayant aucun rapport avec le gâteau lui-même. Des archéologues qui délégueraient à d’autres le rapport avec le public, afin de ne surtout pas être amenés, par ce rapport, à évoluer dans leurs pratiques !
Cette envie d’une recherche « tranquille » isolée de la médiation se heurte brutalement au réel. Dans une société capitaliste en crise perpétuelle mais accélérée, ou chaque heure accordée au Passé est une heure qui échappe au marché et à la création tautologique de la Valeur, l’archéologie, par ce qu’elle cherche à dire des choses sur le passé et non à s’inscrire dans une course désespérée au profit est forcement résistance. Pour dire les choses d’une autre manière plus simple, tout arbitrage entre la préservation des vestiges, leur étude, voir leur révélation au public, est un arbitrage où sont mis en concurrence nombre d’allocations RMI et salaire des chercheurs. D’autre part, l’archéologie, par ce qu’elle accumule des objets, les classes en fonction de la complexification croissante de leurs technologies illustre, au plus haut point, la croissance continue des forces productives de l’Humanité (y compris dans les phases de barbarie, liées aux contradictions que cette croissance engendre). L’archéologie est, de ce fait, une démonstration, pas à pas, de l’efficience épistémologique du matérialisme historique. Il est donc naturel que cela attire sur notre discipline un certain nombre de feux croisés. Il est, à ce titre remarquable, que ce soient les pratiques de terrain qui soient le plus remises en causes. En effet nous le savons tous par expérience. Le terrain est ce qui échappe au cadre théorique dans lequel l’Idéologie cherche à emprisonner la réflexion et l’action des chercheurs. Dans tous les champs de la recherche en sciences sociales, sous l’impulsion directe de Sarkosy, l’Etat tente une reprise en main politique du pilotage de la Recherche. Il est de ce fait logique que la recherche archéologique de terrain soit l’objet d’une pression accrue qui vise par la régulation des prescriptions de fouille à encadrer les recherches futures. Cette pression qui tente de faire rentrer l’archéologie dans un moule idéologique étroit, bien illustré par la récente exposition montée par Aillagon à Venise. Ce moule est celui d’une vison idéaliste classique de l’Histoire : « Nos ancêtres les Gaulois » y précédent « Rome et les Barbares », de l’histoire moderne on s’apitoiera sur les blancs moutons de Marie-Antoinette et on restaurera à grand frais Versailles. Dans ce programme idéologique, cela va sans dire, la colonisation a un rôle positif et le chômage est la faute des chômeurs. Parler de révisionnisme a propos de ce programme au final très cohérent, pourrait paraître une outrance, si dans le même temps, le président du MEDEF n’appelait pas expressément à la liquidation du programme du CNR (Conseil National de la Résistance).
Disons-le tout de suite, nous, archéologues, n’avons pas de place dans les programmes de ce gouvernement. Etudier la société gauloise comme une société aristocratique esclavagiste (au sens ou elle génère les formes très variées de dépendance regroupées sous l’appellation Clientelisme), montrer que les grandes familles gauloises commercent avec les grandes familles romaines, deux siècles avant la conquête, et que c’est ce commerce qui ouvre la voie à l’Impérialisme, ce n’est visiblement pas faire de l’histoire selon Aillagon et consorts. Leur programme idéologique masque une volonté de marchandisation sans cesse croissante de la Culture. C’est une culture à vendre cher à ceux qui peuvent la payer, comme un divertissement sans conséquence pour leur action quotidienne. Une Culture où l’Etat au lieu d’être au service de tous est simplement là pour encadrer toujours plus strictement la population offerte à la machine à profit. Pour, les Aillagon et consorts la Culture n’est jamais un outil contre de lutte l’aliénation.
Une archéologie pour un autre rapport entre des habitants et l’Histoire.
L’archéologie parce qu’elle est contact quotidien direct, répété, avec le réel, peut aujourd’hui être aux avant poste contre ce révisionnisme historique, culturel et social. Un révisionnisme actif qui tend, entre autre, à essayer de nier les acquis des sciences sociales et en particulier les acquis de la recherche en Histoire. Chaque chantier de fouille nous rappelle que nous ne savons au final que peu de choses sur ceux qui nous ont précédés. Chaque chantier de fouille nous montre que notre cadre théorique est faillible. Il nous place, de ce fait, dans la position de « chercheurs » et non dans la position de « savants ». En cela chaque chantier met une équipe devant du réel organisé chronologiquement. Chaque fouille met des individus dans une situation où ils sont, à chaque coup de truelle, rappelés (parfois brutalement) au fait que ce qu’ils pensaient à priori doit ce plier à ce qu’ils observent du réel. Chaque chantier, de la fouille à l’étude, en passant par la publication des données, pose également, ou du moins devrait poser, à chacun des chercheurs la question : « comment découvrir ensemble ».
Pour cela, chaque recherche archéologique, parce qu’elle est temps de confrontation, en vrai (de mise en évidence de contradictions), d’une pensé théorique à une organisation première du réel est une leçon de matérialisme dialectique. Cette leçon est une situation favorable pour accueillir l’autre. Elle est situation favorable, car elle permet de lui montrer, par la praxis, qu’il peut à son tour être acteur d’une recherche fondamentale celle de l’écriture d’une Histoire du passés des territoires sur lequel il habite. En cela l’archéologie peut prendre sa place dans les démarches d’éducation populaire.
Un petit exemple :
"Excuse-moi, je suis en train de fouiller, mais je n’arrive pas à voir où est là limite entre les deux fosses ?
Fais plat et propre. Ce n’est pas moi qui fouille c’est toi !"
Ce dialogue habituel entre un stagiaire et un archéologue est à comparer à la phrase introductive de cet article. Au passage on notera que le tutoiement réciproque est ici la marque d’une égalité entre les chercheurs et plus généralement entre les humains. On rappellera que ce tutoiement au contraire de ce que croient certains ministres de l’Éducation national n’empêche pas le respect, il sous entend un respect réciproque. Pour ce qui est du sens du reste du dialogue, l’archéologie est une discipline scientifique. C’est à dire que c’est l’application de méthodes simples à des questions hautement complexes. Des méthodes très destructives. La fouille est une destruction radicale d’un arrangement unique d’indice passé. En cela c’est un geste irrémédiable. C’est celui qui fouille qui est l’ultime témoin. C’est donc à lui de savoir ce qu’il fait. En cela tout fouilleur est égal devant cette prise de responsabilité.
Avec l’I.M.E. de Drancy
Au mois d’avril 2008 à Drancy, un diagnostic (en français six tranchées creusées à la pelle mécanique sur un linéaire de plus de 300 m), ont mis au jour un site archéologique. Ces tranchés servaient à déterminer la sensibilité archéologique d’une surface de 13 000 m². Creusée en centre ville, dans un parc, ces tranchées ont mis en évidence des fossés gaulois mais aussi les vestiges du jardin du château Ladoucette. Cette opération de diagnostic était occasionnée par la volonté de la « Société Philanthropique » d’offrir aux élèves reçus dans l’IME qu’elle gère, des bâtiments modernes et adaptés. Un IME c’est un établissement médico-éducatif. C’est un lieu où sont accueillis en pension, ou en demi-pension, 70 jeunes dont l’Education Nationale ne peut plus assurer la prise en charge. Il présente des difficultés diversifiés qui vont du retard scolaire sévères aux troubles psychologiques complexes et à leurs corollaires moteurs. L’objectif de l’IME : faire que ces jeunes deviennent de jeunes adultes capables d’intégrer des Centres d’Aide par le Travail.
Les vestiges, mis au jour à Drancy, par les tranchées au mois d’avril, sont-ils intéressants ? Question amusante, car on la pose toujours à des archéologues. Cette question, ceux qui la posent, sont en tout premier lieu les aménageurs. Ceux qui veulent construire. De ce fait ils sont, le plus souvent, contraints à détruire ces vestiges. Nous disons contraints car généralement, les propriétaires, les aménageurs, n’ont qu’un choix limité dans les endroits où ils pourraient aménager. L’IME « le logis » est un bel exemple de ces contraintes. A Drancy il y a des élèves hébergés. Les futurs bâtiments vont donc se construire dans les espaces verts et les anciens bâtiments seront ensuite détruits. Il n’y a pratiquement pas de possibilité de déplacement du projet. D’autre part, les bâtiments, les rampes d’accès handicapés ont une logique. Un bâtiment, qui plus est une série de bâtiments, répond à une logique fonctionnelle. On ne peut déplacer les blocs sans nuire à cette logique. Nuire à cette logique fonctionnelle, c’est pourrir la vie de futurs utilisateurs pendant plusieurs dizaines d’années. Alors si on peu éviter…
D’autre part, un aménagement, une construction n’est qu’un moment dans une très, très longue démarche, disons-le d’un parcours d’obstacles. L’archéologie tombe généralement au plus mal de ce parcours d’obstacle autours du moment critique du dépôt de permis de construire. Pour faire simple, l’archéologie intervient une fois que l’aménageur a regroupé tous ses financements. Dans le cas d’une association qui fait fonctionner un IME, la construction de ce financement est, on l’imagine encore, plus complexe et plus fragile. Caractère discutable des vestiges, fragilité financière de l’opération de construction, et forte utilité sociale du projet, (la France manque dramatiquement d’institution spécialisées et les familles les plus fortunées envoient leurs enfants en Belgique) tout concourait objectivement à l’abandon de l’opération !
Pourtant pour la science, ces vestiges, comme tout vestige disent des choses pour l’occupation du territoire entre Seine et Marne. Ces vestiges sont comme un point dans un tableau d’Edouard Manet. En langage moderne, un pixel sur un fichier photo. En eux-même, ils ne signifient pas grand choses. Des fossés, de la terre sombre, des morceaux de vases, des morceaux d’os animaux, un fragment de meule ou une balle de fronde. Toutefois, ils sont la manifestation d’une occupation humaine, dans un point du territoire donné. Le jour où l’on voudra répondre à la question 6 ou 12 millions de Gaulois (et gauloises) ? Une question qui est pendante pour l’Histoire depuis les années 1860. Rappelons que cette question fondamentale du nombre de « gaulois » est autant celle de l’occupation des grands sites que celle de l’espaces entre ces grands sites. Hors, cette bataille de l’occupation de l’espace entre les grands sites, les archéologues, dans ces histoires de régulation des prescriptions du nombre d’opération d’archéologie préventive, sont en train de la perdre. Ne pas fouiller sérieusement Drancy c’est abandonner un petit point à deux kilomètres de ce qui, après 15 années de combat, s’impose aujourd’hui comme un site majeur : Bobigny et son village d’artisans. Ne pas fouiller Drancy, c’est vider la fouille de Bobigny de tout intérêt. Mais, pour notre opération, là, n’est pas le principal.
Reformulée brutalement la question des aménageurs pourrait-être : les vestiges sont-ils susceptibles de nous empêcher de construire ? Objectivement, pris à cet aune, les vestiges ne méritent presque jamais une fouille. Du moins dans le cadre d’une politique qui viserait juste à éviter les scandales, en retirant au mieux les vestiges du sol avant les constructions. Seuls quelques ensembles remarquables, monuments antique comme le port de Fréjus, ou cimetière d’Orléans ont cette capacité de scandale intrinsèque. La nécropole gauloise de Bobigny, avec ses 500 tombes, objet exceptionnel pour la connaissance de la Protohistoire, aurait pu être rayée de la mémoire et jamais connue. Il aurait pour cela suffit d’un bulldozer anonyme entre 8 et10 heures du matin. Ce crime n’aurait pas eu de coupable. Il n’aurait d’ailleurs pas été un crime, car personne, mis à part peut-être le chauffeur d’engin et ce n’est pas certain, n’aurait vu les ossements ! A Drancy, les vestiges au regard d’une certaine politique de l’archéologie et de l’industrie du bâtiment être détruit. Du moins en première analyse.
Cependant à Drancy, ces vestiges sont dans un établissement d’éducation !
A l’issue du premier temps de diagnostic, une réunion entre l’aménageur, l’architecte, les archéologues du Conseil Général et les collègues de l’Etat a permis de dégager une médiane entre les contraintes. Un cadre légal inadapté qui ne connaît que le diagnostic et la fouille sans prévoir de demi-mesure _ un projet économiquement fragile_ un intérêt certain pour la recherche. Notons qu’à cette étape, l’intérêt de la fouille pour les élèves a été énoncé par les archéologues et il n’a pas fait image. Il n’a pas constitué un argument de la négociation faute probablement d’exemple disponibles à valoriser.
Au mois de juin, après destruction des bâtiments qui encombraient de leurs plaques d’amiante le terrain, une opération de diagnostic complémentaire a été lancée. Les 1200m² qui livraient des vestiges ont été débarrassé des terres de surfaces (les archéologues disent : décapés) grâce à une pelle mécanique mise à disposition 6 jours par l’aménageur. Le terrain nettoyé se situait à la verticale des bâtiments d’enseignement. Les élèves ont donc pu voir le chantier s’installer. Certains ont ouvert les fenêtres, mais aucun n’a durant cette semaine osé nous interpeller.
La pelle mécanique, partie, (nous apprendrons par la suite que ce sont des sables alluvionnaires anciens), la fouille a commencé. Il s’agissait en premier lieu de curer à la pelle et à la pioche un fossé gaulois orienté nord-sud et large de 3 m à l’ouverture. Le fossé, était percé dans les alluvions anciennes sur une profondeur de 1.70 m. La fouille de la première section d’une longueur de 4 mètres a précédé celle d’une seconde section. L’équipe de deux agents mis en place par le Département a été renforcée par trois stagiaires. Une de ces stagiaires collabore avec l’équipe du Département depuis son stage de troisième (stage d’une semaine). Elle est aujourd’hui en passe d’entrer dans un master I. Elle illustre bien cette voie de formation par compagnonnage, évoquée en introduction. Le second stagiaire lui est un élève de l’Ecole nationale du Patrimoine. Il est au service pour un stage de six mois à la suite duquel il aura les diplômes et les compétences nécessaires pour diriger un service. Son école dans la droite ligne de la politique de cohérence avec les autres projets du gouvernement, lui demande un rapport intégrant un projet « égalité des chances » du nom d’une loi qui n’est pas sans poser de multiples problèmes…
Malgré cette équipe au travail, les élèves se sont contentés de nous regarder par les fenêtres. Ni eux, ni à fortiori les enseignants, n’ont spontanément franchis la clôture, qui pour des raisons de sécurité isolait la zone de chantier du pied des bâtiments d’éducation.
Il a fallu attendre la troisième semaine de juin pour observer un déblocage. Il est intervenu de deux manières concomitantes. D’une part la Directrice nous a fait l’offre de partager les repas avec les personnels de l’institution, d’autre part nous avons souhaité renforcer l’équipe en rajoutant un agent supplémentaire. Ce collègue d’une trentaine d’année, a décidé de faire de l’archéologie de terrain depuis trois ans. Antérieurement après une première expérience professionnelle il a, en bénévole, participé à des démarches d’archéologie vivante. Sous ce terme se cache le fait de se costumer en « gaulois » lors de fête publiques, pour tester des hypothèses sur le rôle fonctionnel des différents éléments de costumes au sens large, vêtements, armes, matériel de la vie quotidienne. Depuis cinq années nous collaborons ensemble pour croiser les regards d’un démonstrateur et d’un fouilleur et ainsi créer celui d’une équipe d’archéologues Un travail ensemble pour faire avancer les pratiques de chacun. Surtout un travail pour faire changer les regards. Une démarche bien dans la ligne de l’Education Populaire.
Le résultat, en troisième semaine, après une réunion pédagogique qui a regroupé les intervenants disponibles de l’équipe pédagogique de l’IME, notre stagiaire INP : Lionel et Eric. Les élèves en petit groupe de 8 à 10 et fortement encadrés ont effectués une première visite. La réunion pédagogique avait posée un cadre : un temps théorique de visite de 15 minutes. Ce temps était celui au bout duquel l’équipe pédagogique pensait que les élèves décrocheraient. L’équipe ne formulait pas clairement que « décrocher » signifiait deviendrait ingérable. Cette réunion nous a permis de nous interroger sur le manque de confiance des adultes envers les élèves.
Cette réunion nous a également alertés sur les attentes de l’Institution. Visiblement pour l’institution il ne paraissait pas nécessaire d’emmener les élèves voir la fouille. Plus démonstratif encore, les élèves n’avaient pas été intégrés à la définition du projet et aucun dispositif ludique à partir de maquette du projet de construction n’avait été mis en place.
Ceci expliquait pourquoi les propositions faites par les chercheurs, en amont de l’opération, d’aller voir avec les élèves une exposition sur les Gaulois s’était heurté à des réponses dilatoires. Alors que l’équipe pédagogique pensait que les élèves ne tiendraient pas plus de 15 minutes, les premières visites, en plein soleil, ont durée une demi-heure à trois-quarts d’heure ce qui est le temps habituel d’une visite avec des jeunes adolescents, cela a visiblement surpris l’équipe pédagogique…Là nous sommes bien dans les enjeux d’une éducation populaire.
Cette première expérience qui a porté sur six fois huit élèves, a rassuré l’équipe pédagogique. Elle a accepté alors plus facilement que ces élèves viennent, en atelier fouille sur des temps de deux heures. La participation à ces ateliers de fouilles c’est fait sur la base exclusive du volontariat des élèves.
Nous avons pu alors mettre à profit une fraction du terrain. D’une surface de 25m, il a été réservé dès le décapage. Sur ce terrain il a été établi un carroyage en ficelle. Nous avions choisi un secteur proche d’une limite de chantier, décapé relativement haut et relié aux bords du chantier par une rampe en terre douce. Nous pensions, en archéologues rompus aux règles de sécurité sur les chantiers, à supprimer au maximum tout risque. A posteriori, ce dispositif était surtout sécurisant pour nous… Chaque élève, face à un carré, tous ensemble loin de l’équipe de fouille pour que les éducateurs se sentent rassurés. Les élèves se sont gentiment contentés de s’adresser aux interlocuteurs qui leurs avaient été désignés et n’ont en rien été une gêne pour le travail. Du point de vue contrôle social l’Institution peut donc être rassurée.
Le premier atelier a été l’occasion pour l’équipe d’archéologues de constater la grande diversité des élèves. Ne rentrant ni dans un paquet « autisme » ni dans un paquet psychotiques, 10 jeunes avec chacun des réactions très différenciées qui ont vite rendu caduque tout idée préconçues. Pendant l’atelier, le fonctionnement du chantier s’est poursuivi, ce qui fait que les élèves ont bien compris qu’ils venaient aider un chantier en cours. Un chantier sur les Gaulois, comme il leur avait été expliqué durant la visite. Leur difficulté à s’inscrire dans le temps et à verbaliser cette inscription dans le temps, n’a pas été, sur le temps du chantier, plus marquée que celle d’une classe standard. En revanche nous avons constaté que les encadrant étaient plus porté à tenter spontanément de pallier ces difficultés que des encadrant d’une classe standard.
Cette manière de répondre à la place de l’autre nous pose bien des questions sur les rapports encadrants/élèves, adultes/enfants. Durant ces ateliers, cette réaction semble encore plus nette, au point qu’elle devient une gêne pour celui qui anime l’atelier. On peut soit penser qu’elle est prédéterminé par une réaction déficient/normaux, soit qu’elle témoigne de la difficulté à construire un triangle pédagogique entre ceux qui apprennent, ceux qui encadrent et ceux qui animent l’atelier. Peut-être cela est-il du au fait que nous n’avons pas suffisamment expliqué en amont, notre démarche à l’équipe pédagogique.
Les 6 autres séances n’ont pas été fort différentes out en témoignant des possibles progrès.
Cependant, dans le détail nous avons commencé à mettre un peu de souplesse dans le dispositif. Durant la troisième semaine deux jeunes habitants de la commune de Drancy, sensibilisés par les articles dans le Parisien se sont spontanément associés à l’équipe. L’un des deux, Damien en transition entre la première et la terminale à démarré fort sérieusement son chemin dans l’apprentissage par compagnonnage. Nous l’avons associé au côté d’Eric à l’encadrement des ateliers. Il s’agit d’une technique bien ancrée dans le service. Elle consiste à mettre de jeunes stagiaires en posture d’apprenant. De préférence en binôme avec un référent. Là encore, rien de révolutionnaire, ou plus exactement rien d’autre que le célèbre « amalgame » cher aux troupes révolutionnaires. Conjuguer l’expérience et la fougue de la jeunesse pour faire de celui qui est en train d’apprendre celui qui apprend.
Cette première ouverture a permis d’estomper la limite rigide entre l’atelier et le reste de la fouille. D’autres gestes spontanés : Anna, une autre collaboratrice bénévole qui avant de se lancer dans une cinquième année de l’École du Louvres, découvre les diverses équipe du service, a vidé les seaux des élèves lors de la seconde séance. Elle a dit à une élève, Jennifer : « ce tu fais c’est bien, c’est plat ». L’élève était dubitative. L’animatrice est immédiatement intervenue disant à l’élève que :« si les gens lui disait que c’était bien (c’est que c’était bien » formulation à reconstituer) ». Jenifer a alors proposé à Anna de prendre la pause avec le reste de l’atelier ce qu’Anna a fait. Lors des séances 2 et 3 la pose a commencé à devenir un temps fort de l’atelier.
Au cours des ateliers suivants, les élèves ont également modifié d’eux-mêmes le dispositif. Ils ont délaissé la pente en terre préférant passer sur une double planche empruntée parles archéologues. Cette planche, en pente passait au dessus d’un vide de moins d’un mètre de haut. Le premier franchissement c’est fait spontanément par Aurélie. Il s’est fait avec l’assentiment de la prof de sport. Eric a laissé se dérouler l’action et Yves a fermé les yeux sur cette prise de risque au regard du dispositif initial, partant du fait qu’il ne fallait pas perturber une séance en cours.
Ni l’un ni l’autre, nous n’avons eu conscience sur l’instant de favoriser un moment fort dans une pédagogie de projet. Pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit. Nous en avons pris conscience l’après-midi même lors d’une séance d’échange informelle avec le psychologue attaché à l’Etablissement. Le franchissement en relative autonomie de cette passerelle a représenté, pour une partie des participants, la victoire sur un véritable obstacle. Certains participants, pour globaliser la fraction qui présente des manifestations de formes « autisme » ne conceptualise que mal les limites de leurs corps et pensent le monde en deux dimensions. Une passerelle, en pente, est donc un obstacle. La franchir est peut-être une victoire vers l’autonomie.
Il est probable qu’en réalisant cet atelier nous avons joué sur d’autre registres. Il est encore trop tôt pour les repérer. D’autre part sur la base de ce premier balbutiement nous avons envie de continuer cette recherche/action en mettant en place une vrai démarche de projet. Celle ci pourrait passer par l’élaboration d’un projet pédagogique pluri-disciplinaire. Co-écrit entre l’équipe pédagogique et l’équipe archéologique, il fonctionnerait sur le principe d’ouverture. L’objectif est d’amener les jeunes de l’IME à l’extérieur tout en les rendant acteurs de la réalisation de supports matériel, destiné à faire entrer des classes standard à l’intérieur de l’enceinte de l’IME pour y être accueillis. Il utiliserait comme outil la confection d’une fouille expérimentale en 2008 et celle d’une maison gauloise en 2009. L’objectif de la fouille expérimentale est double faire travailler les élèves sur plan avant de leurs faire réaliser la fouille (passer de la deuxième à la troisième dimension). L’objectif de la maison est de les sécuriser en les rendant acteurs dans les temps de changement, qu’impliquent leurs nouveaux bâtiments.
Une éducation populaire à l’Archéologie pourrait se donner un objectif simple : permettre à tout un chacun d’avoir les mots pour parler aux autres du passé du territoire sur lequel il habite. Parler aux autres pour avoir quelque chose à dire, à partager ensemble. En d’autres termes, arracher la didactique de l’Histoire à l’État pour en faire une histoire en construction par les habitants, pour les citoyens