L’histoire du projet et du film. (document - interview 2004)
Cristobal SEVILLA, formateur vidéo de La Cathode et Isabel CUADRO, responsable de l’association APEDI
Qui est qui et qui fait quoi ?
Ce projet de rencontre à Porto Alegre s’est organisé en France autour de plusieurs associations, en particulier, APEDI et La Cathode, alors tout d’abord, pouvez-vous nous présenter vos deux associations respectives ?
Isabel : L’APEDI a pour objet de promouvoir et de réaliser des échanges (culturels, technologiques, médicaux) avec les peuples autochtones afin de contribuer à leur développement et à une meilleure qualité de vie. Elle veut aussi être un lieu de rencontres entre personnes et institutions qui partagent les mêmes intérêts.
Actuellement, elle coopère sur le long terme avec les associations CEPD-Chile, La Cathode, Via le Monde. Par ailleurs, ses bailleurs de fond sont l’Union Européenne, le Conseil général de la Seine-Saint-Denis, le Conseil régional d’Île de Franceet la ville de Montreuil.
À l’origine, nous étions un groupe d’étudiants, pour la plupart en ethnologie, et organisions des voyages études - rencontres avec des peuples autochtones, en particulier au Chili. Par ailleurs, habitants de la cité de l’Espoir à Montreuil, nous constations au quotidien que les jeunes, avant tout, contrairement à ce que l’on entendait dire, s’ennuyaient. Nous avons donc eu une idée simple, celle de leur proposer de participer à ces projets de voyages/échanges. C’est ainsi que APEDI a commencé à mettre en place des activités avec les jeunes de cette cité, et que notre association a pris cette forme d’intiative.
Cristobal : En ce qui concerne La Cathode, c’est une association qui a mis en place de nombreux ateliers vidéo, avec des professionnels, dans des quartiers de la région parisienne et en milieu scolaire. Elle met à la disposition de ses partenaires des intervenants et du matériel, et participe à leurs projets en formant les participants à la réalisation d’un film sur le thème qu¹ils désirent traiter. Le projet en amont est accompagné de formations avec des professionnels.
Comment s’est opérée votre coopération ?
Isabel : Lors d’un premier échange culturel (entre jeunes européens et Aymaras (chiliens et boliviens), organisé en novembre 2002 dans les Hauts Plateaux chiliens, nous avions réalisé un film d’amateur. De retour en France, nous cherchions les moyens de faire le montage de ce film avant de le projeter. C’est alors que Via Le Monde nous a mis en relation avec La Cathode, qui a accepté de nous aider.
Encouragés par le succès de cette première initiative, l’idée nous est venue d’organiser un nouvel échange entre jeunes européens et latino-américains.
La caractéristique de notre organisation est d’impliquer les participants à toutes les étapes du projet pour leur permettre de se familiariser avec les différentes démarches à effectuer, et de développer leurs connaissances sur certains points.
La préparation du projet nécessite donc un travail approfondi avant l’échange, et chaque groupe doit s’investir pendant une année autour d’ateliers définis par les jeunes eux-mêmes. Dans le cadre de ce nouveau projet, le thème choisi était « la démocratie participative », avec préparation autour de trois ateliers : animation, reportage et recherche autour de ce thème.
Dans l’atelier reportage, par exemple, quatre jeunes ont décidé de s’intéresser à la prise de vue, au son et au montage, et deux autres, d’être responsables du matériel et de l’organisation du tournage. Il faut souligner que le projet en amont est toujours accompagné d’une formation à caractère professionnel, d’où notre engagement pour un an avec La Cathode afin d’assurer un apprentissage vidéo aux participants de cet atelier.
Des outils techniques au service de la réflexion
Comment l’atelier vidéo s’est-il organisé pour, à la fois, préparer à une formation technique et s’impliquer dans une réflexion sur la démocratie participative ?
Cristobal : Nous avons commencé cet atelier par l’élaboration d¹un premier scénario en recherchant quelles structures, en Ile-de-France, pratiquaient la démocratie participative en vue de pouvoir faire une comparaison avec ce qui se passe à Porto Alegre (lieu de la rencontre). Simultanément avec l’apprentissage technique, l’équipe a fait des demandes d¹autorisation de tournages. Les lieux choisis ont été la préparation du Forum Social Local de Montreuil, des ateliers du Forum Social Européen 2003 (à Saint-Denis, sur « l’économie solidaire », « Les jeunes et la politique », à la Villette, autour de différents stands) et enfin à Genevilliers, le conseil régional de la jeunesse.
Par ailleurs, l’atelier s"est déroulé à Montreuil à la maison des associations, à raison d’une réunion de deux heures par semaine, le vendredi soir. Pour le groupe de cet atelier, en dehors de la formation vidéo, la préparation comprenait des réunions concernant la conception du projet, l’organisation du travail, la réflexion et la recherche d’informations sur le thème, l’évaluation du budget selon les activités définies, ainsi que la recherche de financement. En un mot, la démocratie participative se pratiquait au sein-même de l’atelier.
Encourager les jeunes à prendre des responsabilités
Pour atteindre ce degré d’organisation, à quel type de jeunes vous adressiez-vous en particulier, et comment sollicitiez-vous leur participation ?
Isabel : En France, ce sont en majorité des jeunes en situation d’exclusion, habitant des cités dites "sensibles", qui ont deserté le parcours scolaire et qui sont sans emploi. Au Chili, ce sont des indigènes Aymaras qui habitent dans des milieux ruraux avec un niveau scolaire de classe primaire. Les Espagnols sont des jeunes sans formation et en rupture avec leur milieu familial. Les Brésiliens de Porto Alegre sont également issus de milieux défavorisés, mais ils sont activement impliqués dans le budget participatif de la ville, et ont pris des responsabilités dans des structures de jeunesse.
En ce qui nous concerne, nous nous adressons à des jeunes entre 18 et 25 ans, en considérant que chacun a un potentiel et des idées qui ne peuvent s’exprimer que si on leur fournit un espace et des conditions adaptées à leur besoin. Notre démarche est donc de soutenir et de favoriser l’expression et la parole de ces jeunes pour les amener à exprimer leurs intentions, leurs choix, et à les assumer, par le biais de leur participation.
Notre première expérience nous a permis de constater qu’il est essentiel de les encourager à prendre des responsabilités et de leur montrer qu’ils sont dignes de confiance - les structures dans lesquelles ils évoluent habituellement, ou simplement le milieu dans lequel ils vivent, ne leur offrant pas cette possibilité de mise en valeur de leurs compétences et de leurs capacités. L’accent est également mis sur les avantages que peut représenter pour eux le fait de partager, et de faire profiter les autres de leurs expériences et de leurs connaissances.
L’idée est que tous les participants se sentent concernés par l’ensemble du projet, à toutes les étapes de sa préparation. Tous doivent informer, et être tenus informés, de l’évolution du travail dans les différents ateliers ; d’où l’intérêt de réunions régulières avec l’ensemble du groupe. Ce suivi rapproché permet de mieux suivre leur démarche, de mieux les aider dans leur choix, de mieux leur faire comprendre l’importance de leur rôle et de leur participation, et ainsi, d’accroître leur motivation. Dans ces conditions, ils parviennent à définir un projet et à le présenter eux-mêmes devant la Commission Européenne dans le cadre du programme Jeunesse, Education et Culture.
Des résultats dans la durée
Quel est l’impact de cette initiative au-delà de la réalisation du projet ?
Isabel : Il est double ; d’abord, au niveau des participants, car presque tous restent très motivés pour repartir dans un projet ou s’engager dans une formation ou encore trouver un emploi.
Ensuite, de manière indirecte, au niveau des habitants de la cité de l’Espoir, ainsi qu’à tous les jeunes de la Seine Saint-Denis, car les résultats de notre travail bénéficient directement à la communauté locale.
Les activités de l¹APEDI ont le soutien de la ville de Montreuil et du Conseil général de la Seine Saint-Denis : cette collaboration résulte précisément du fait que nos activités s’inscrivent parfaitement dans le cadre du développement de la participation des habitants à la vie de leur ville, et de la prévention, dans la durée, des phénomènes d’exclusion sociale par le développement d’outils d’accès à la citoyenneté et à l’insertion professionnelle.
D’ailleurs, l’idée d’organiser cet échange à Porto Alegre (Brésil) en particulier, est née du fait que le système de budget participatif, qui fonctionne dans cette ville, constitue un bon exemple d¹intégration de la population, en général, à la vie de la « Cité ».
En revanche, nous avons pu constater que les récentes mesures du gouvernement, en France, prises au nom de la lutte contre l’insécurité et visant particulièrement les jeunes, ne sont pas accompagnées de mesures favorisant leur intégration dans la vie citoyenne